La serenite n'est pas seulement la disposition d'un esprit tranquille ou
la purete d'un ciel degage. Originairement consideree, elle est le
detachement de toutes choses. Le coeur detache est celui qui, ayant tout
laisse, s'est laisse lui-meme. Il est entre dans l'abandon, la
separation de l'adieu. Cet unique laisser, cette pensee de laisser,
advenant dans le coeur c'est-a-dire dans le centre, modifie radicalement
la presence de tout ce qui vient en presence. Elle est la tentative de
rejoindre un sens d'etre qui n'appartiendrait plus, peut-etre, au
domaine de la volonte. Par Maitre Eckhart, qui en fut le penseur, a
travers Schelling qui en recueillit l'heritage rhenan, jusqu'a Heidegger
et, a sa suite, Reiner Schurmann, la serenite de la Gelassenheit, du
detachement ou du delaissement, continue de venir a nous. Pour nous,
dans la constellation ou nous nous trouvons, en quelle mesure, nouveau
regard qui voit la fragilite, non-agir accomplissant l'essence de
l'agir, la decision de laisser, laisser venir, laisser partir, laisser
etre, indiquerait-elle encore un chemin? Vers quelle etendue, vers quel
domaine, vers quel regne: vers quelle sorte de paix ce chemin, s'il
pouvait encore s'ouvrir, conduirait-il?