Malebranche est sans doute, a l'age classique, l'auteur le plus critique
a l'egard de l'imagination. En plus d'etre, comme le soutient Pascal,
maitresse d'erreur et de faussete, l'imagination designe en effet chez
lui la folle du logis, une folle qui se plait a faire la folle et a
deregler la raison humaine pour l'entrainer dans le monde de l'absence
et du fantasme. C'est elle qui torture les esprits visionnaires, elle
qui transforme les hommes en loups-garous et leur fait organiser des
sabbats, elle qui engendre des enfants monstrueux et accelere la
contagion du peche originel. L'imagination ne detourne pas seulement les
hommes de la verite, concue chez Malebranche comme un ensemble de
rapports entre les choses et les idees, tels que Dieu les a institues.
Elle les fait en outre vivre dans un monde ou l'ordre des choses est
renverse, ou prevalent les apparences, la superstition et
l'amour-propre. Elle est fatale a la fois a ceux qui la possedent et a
ceux qui l'admirent dans les autres sans la posseder . Mais l'etude de
l'imagination permet egalement de mettre au jour les modalites et les
effets de toute une serie de rapports dont la machine corporelle est le
centre. Lire le livre II de la Recherche de la verite, c'est ainsi
tenter de comprendre comment la science (tout particulierement la
physiologie) peut servir a eclairer l'homme d'aujourd'hui. Alors cette
derniere ne sera plus perpetree comme une trainee de poudre, mais
rationalisee et par-la meme confortee dans son statut de dangereuse
fantaisie.