Les conceptions relatives a la vie de cour traduites par les ecrivains
de France (en langue francaise et en langue latine) sous la dynastie des
premiers Valois (1328-1498) constituent un theme litteraire d'une
importance primordiale. Elles attestent deux attitudes - l'attitude
procuriale et l'attitude anticuriale - et temoignent de deux mentalites.
La mentalite medievale, a travers laquelle se manifestent a la fois de
l'attrait ou du mepris pour la vie de cour, revele de la part des gens
de lettres une croyance confiante au progres moral de l'homme. A
l'oppose, la mentalite humaniste verse dans un pessimisme assez constant
qui denie, au moins theoriquement, toute valeur a l'existence curiale et
qui prone un comportement de repli sur soi fonde sur l'exaltation de la
liberte individuelle et sur le culte du moi renforce par la pratique des
belles-lettres. Jusqu'ici, les historiens des mentalites avaient neglige
les aspects essentiels de la litterature medievale favorable au destin
des gens de cour. Aussi, une part importante de ce livre est reservee a
l'etude des ecrivains qui plaident la cause des milieux curiaux, en
general des hommes de lettres professionnels, et qui exaltent les
valeurs intellectuelles et esthetiques vecues par l'aristocratie ou qui
fournissent des justifications morales a l'existence mondaine. Seduite
par les ideaux traditionnels de la chevalerie et de la courtoisie, la
noblesse de cour va progressivement changer de statut: le vassal, lie au
depart a son suzerain par un lien personnel, se mue bientot en homme de
cour. Puis, a la fin du XVe siecle, quand l'aristocratie sera depouillee
de ses prerogatives, apparait le courtisan, ou membre (souvent roturier)
de la suite du prince appele a defendre par des moyens quelquefois peu
avouables la faveur qu'il a conquise. Au-dela des aspects moraux de la
censure de cour, assez bien mis en lumiere jusqu'ici, le present ouvrage
s'attache a considerer les perspectives sociales de cette critique. Si
la personne royale est generalement epargnee par les blames des
bourgeois ou du peuple, la noblesse et le clerge voient leurs
comportements denonces avec une sourcilleuse severite. Dans l'ensemble,
les auteurs inspires par la mentalite medievale manifestent une
conviction determinee dans un possible amendement des esprits. A
l'inverse, prenant appui sur le sentiment personnel de la satietas
curiae, la critique humaniste de la vie en cour montre moins de
confiance dans le perfectionnement moral des etres et comprend un
caractere individualiste affirme. Inspire par l'Italie, renforce par des
reactions nationalistes a l'oeuvre de Petarque, ce mouvement
intellectuel revet souvent les atours d'un jeu litteraire: les plus
virulents contempteurs de la vie curiale sont aussi des membres de
chancellerie tres fideles a leur maitre... L'etude des visions de la vie
de cour atteste la grande richesse de la pensee litteraire au XIVe et au
XV siecle. Cette epoque nourrit une grande fermentation intellectuelle
et, a travers deux mentalites assez contradictoires, illustre
l'eternelle grandeur de l'homme.