Les manuscrits se consument moins que leurs lecteurs. Et ici, je veux
parler de l'eclat lumineux des manuscrits et de l'obscurite qui les
menace toujours et dire ma passion des manuscrits, ou plutot de
l'activite manuscrite. J'aime l'unicite fragile des manuscrits, sans
leur vouer l'adoration ou la convoitise suscitees par des tresors, que
j'evoque d'abord avant de livrer mon experience des rapports incommodes
entre les institutions detentrices, les lecteurs et les scribes. La
suite, sur mes peripeties de dechiffreur, s'intitule la peau des
scribes: a partir du materiau d'ecriture, le cuir des moutons, je veux
me mettre dans la peau des scribes face a leurs detracteurs, ceux qui
veulent avoir leur peau . Mais entre les scribes et moi, s'interpose
l'institution d'une discipline qui s'est voulue scientifique, avec une
exigence de genealogie qui se fondait sur une recherche en paternite,
bien vaine pour les textes medievaux ou les traces de l'auteur
s'effacent au profit de celles des scribes, malgre d'illustres
exceptions. Meme en se liberant de ces carcans, le lecteur n'accede pas
facilement aux textes des manuscrits: l'objet qui les porte, materiel,
subit les aleas et infortunes des choses et les inadvertances des hommes
qui en gerent la fabrication. J'en viens alors a mes freres, les scribes
eux-memes, quand je traite des marges du manuscrit comme lieu
d'organisation du texte par les scribes, avant de resenter leur
intervention directe et inventive dans le texte. Ce livre raconte une
rencontre heureuse.