C'était une impossible rencontre. A un siècle de distance, celle d'un
empereur, Napoléon, et d'un écrivain maudit, Léon Bloy. L'un croyait à
peine au ciel, l'autre, pour ainsi dire, y vivait. L'un voyait dans la
religion un simple instrument de gouvernement, un adjuvant de son
ambition toute terrestre; l'autre pratiquait l'extase et l'oubli de soi
dans un catholicisme mystique, sombre et flamboyant. L'un mena sa vie
comme un météore dont l'éclat illumine encore les imaginations; l'autre
fut un vaincu de l'existence, vivant misérablement dans les emportements
vains et les fureurs impuissantes, écrivant faute de vivre et ne vivant
jamais bien d'une écriture pourtant magnifique. L'un voyait les humains
comme la pâte qu'on modèle pour construire son destin, indifférent aux
autres et tout entier dans sa propre légende; l'autre puisait dans sa
foi une immense compassion pour le pauvre, le laid, l'oublié, préférant
toujours les humbles aux puissants, apercevant le salut dans le regard
des réprouvés. L'un croyait à la force, l'autre à la faiblesse. Et
pourtant Napoléon fournit à Léon Bloy le sujet d'un de ses grands
livres, l'un des plus étranges et des plus beaux qu'on ait écrits sur
l'homme inépuisable. Dans l'océanique bibliographie impériale, L'Ame de
Napoléon figure parmi la poignée de curiosités fascinantes, la gerbe de
textes hors du commun que le petit général corse a suscités chez les
grands écrivains.