Je n'ai pas voulu cela. La phrase de Guillaume II reprise par Karl
Kraus dans Les Derniers jours de l'humanite sert de fil conducteur a
une archeologie du sujet de l'action, entendu comme sujet d'un libre
usage (khresis) du vouloir et du faire. Le fond du debat est d'ordre
logique. Il passe par une distinction entre volonte (voluntas) et
nolonte (noluntas), vouloir faire (velle facere), ne pas vouloir
faire (non velle facere) et vouloir ne pas faire (nolle facere)
dont l'histoire est retracee d'Anselme de Cantorbery a Roderick
Chisholm. S'y deploie une serie de questions analysees en detail
d'Abelard a Locke, de Buridan a Schopenhauer, de Duns Scot a Hobbes,
Bramhall et Leibniz. Suis-je libre de vouloir ce que je veux faire? De
vouloir ce que je ne veux pas faire? De ne pas vouloir ce que je veux
faire? Non seulement avant de le faire, mais en le faisant? De l'Ane de
Buridan au principe des possibilites alternatives de Harry Frankfurt,
tout est mobilise pour faire comprendre comment c'est en theologie que
s'est nouee la question philosophique du rapport entre vouloir, nouloir
et principe de non-contradiction. Deux modeles, en effet, s'affrontent
depuis que la tradition chretienne a elabore les bases logiques de la
theorie de la volonte et de l'action: le modele aristotelicien, mis en
oeuvre dans la theologie byzantine par le patriarche de Constantinople
Sergius I er ( 638), fonde sur un principe de coherence subjective du
vouloir assertant qu'un meme sujet ne peut vouloir simultanement deux
contraires; le modele augustinien, repris par Duns Scot et Hannah
Arendt, affirmant que toute volonte fait en meme temps acte de vouloir
et de non-vouloir. Il faut toujours deux volontes rivales pour
vouloir. Pour le reste: Spectemur agendo! Voyez-nous faire! Nos
actes sont nos juges. Une reponse a toutes les denegations.