A la fin du dix-huitieme siecle, Louis-Sebastien Mercier ecrivait: Je
ressens une veritable joie en voyant la poesie dramatique, le plus
seduisant et le plus ingenieux des arts d'imitation, universellement
repandu, universellement estime. C'est le plus precieux heritage que
nous aient transmis les anciens. [...] on peut appeler le theatre le
chef-d'oeuvre de la societe . Un siecle plus tard, Barbey d'Aurevilly
declare: Selon moi, c'est un art fini [...] qui a depasse son zenith
et qui descend l'autre cote de la courbe qu'il a montee . Des premieres
pages du recueil aux ultimes feuilletons, Barbey, nouveau Cassandre du
theatre, n'en finit pas de sonner a grandes volees l'agonie de l'art
dramatique. Revenant d'un bout a l'autre du recueil avec l'obstination
d'une sombre antienne, la petite musique aurevillienne de la decadence
dramatique forme le veritable fil des cinq volumes du Theatre
contemporain: chaque nouveau feuilleton retentit comme un nouveau coup
de glas et vient enfoncer un clou supplementaire dans le cercueil d'un
art dramatique mal en point. Pourtant, Barbey n'en devient jamais ni
doctrinaire, ni puritain, ni moraliste quand il en vient aux plaisirs du
theatre et de la danse. Son jugement critique demeure sensible a la
beaute des jeunes danseuses et comediennes qui ont l'oeil peu farouche
et la jambe dictatrice ; il ne demande qu'a rire a la facon de
Moliere. Ce qui manque decidement a ce theatre contemporain, c'est de
quoi susciter l'emotion: de l'audace, de l'invention, de la verve. Or
pour exalter cela, Barbey s'avere etre un maitre inflexible, un juge
eclatant et un temoin tapageur.