Jean Paul Riopelle est surtout connu pour les célèbres toiles abstraites
de sa maturité artistique. Toutefois, François Marc Gagnon amorce cette
histoire fascinante avec les premières peintures et l'adhésion précoce à
l'objectivité, avant de sonder la participation de l'artiste à
l'automatisme et l'incidence durable de ce mouvement sur son oeuvre.
Gagnon retrace les premières étapes du cheminement de Riopelle depuis le
style figuratif traditionnel enseigné par Henri Bisson, son premier
professeur, jusqu'au virage subjectif inspiré par une exposition
itinérante d'art hollandais et, en particulier, des toiles de Vincent
Van Gogh, ainsi qu'aux expériences automatistes dans un atelier d'une
ruelle de Montréal où le peintre travaille en compagnie de Marcel
Barbeau et de Jean Paul Mousseau. Dès 1946, Riopelle est un émissaire de
l'automatisme à Paris, où il organise la première exposition collective
consacrée à ce style. L'auteur montre que malgré la perception d'un
désintéressement idéologique, Riopelle a joué un rôle déterminant dans
la publication du Refus global, manifeste dont il a dessiné la
couverture et qu'il défendra publiquement, alors que la controverse
agite les cercles artistiques et intellectuels du Québec. En 1949, après
avoir embrassé la notion automatiste d'une peinture sans préconception,
Riopelle adopte un style très personnel, où le hasard tient une place
prépondérante. L'auteur retrouve cette démarche dans l'oeuvre et les
témoignages du peintre lui-même, qu'il fait dialoguer habilement avec
les textes de philosophes et de théoriciens sur le rôle du hasard dans
la créativité. Il propose en outre une analyse formelle du style et de
la technique privilégiés par son sujet au moment où il abandonne
définitivement le pinceau pour la spatule. Dans ce premier examen
approfondi du rapport de Riopelle à la peinture américaine et à Jackson
Pollock en particulier, il remet en question l'idée, pourtant largement
acceptée, d'une influence de Pollock, qu'il juge peu probante. Cet
ouvrage d'érudition, stimulant et clair, dernier de la longue carrière
de l'auteur, est porté comme toujours par une écriture brillante. Il se
distingue par son originalité, son intégrité et une connaissance
approfondie de l'oeuvre et du milieu de l'artiste, ce « trappeur
supérieur » selon le mot d'André Breton.