Cournot-qui ne se considerait pas comme un mathematicien de la meme
trempe que son illustre ami, l'allemand Dirichlet-a eu la perception
aigue des repercussions philosophiques que peuvent avoir certaines
grandes evolutions des sciences. Cette conscience de la science en
marche l'a conduit, le premier, a concevoir une theorie des revolutions
scientifiques. En 1872, dans ses Considerations sur la marche des idees
et des evenements dans les temps modernes, il propose une interpretation
des crises et des changements de mode d'explication qui jalonnent
l'histoire des sciences. Il n'est pas seulement averti de l'etat du
savoir; il a de plus le souci de faire une histoire philosophique des
sciences; histoire qui nous eclaire sur les conditions du passage de la
confection d'images coherentes ou logiques du monde a la representation
fidele ou rationnelle de la nature. Il tente donc de concilier une
philosophie de la nature d'inspiration realiste avec une theorie de la
marche de l'histoire.